La règle du plus bas soumissionnaire

Doit-on accorder les contrats gouvernementaux et municipaux au plus bas soumissionnaire?

QUI SUIS-JE?

Ingénieur de profession, j’ai exercé pendant près de quarante années. J’ai vendu aux gouvernements et municipalités par appel d’offres publics. Aussi, j’ai préparé avec d’autres ingénieurs de nombreux appels d’offres pour la construction du métro de Montréal. Par la suite, j’ai exploité une colossale usine municipale qui a été bâtie par l’octroi de contrats au plus bas soumissionnaire. De plus, pour cette usine, j’ai préparé de très nombreux contrats pour son entretien et l’exploitation et pour lesquels j’ai écrit le cahier des charges (principalement la partie technique). Finalement, j’ai fait un passage de quelques années dans deux ministères québécois impliqués dans les infrastructures municipales. De plus, personnellement, je suis intervenu dans de très nombreuses instances afin de faire connaître mes opinions sur différents sujets touchant notre société. Et l’écriture de cet article est une suite logique à mon implication sociale.

LES RAISONS DE MON INTERVENTION :

J’ai choisi de vous faire partager mon expérience sur le sujet mentionné ci-dessus parce que plusieurs intervenants dans l’industrie proposent de nouvelles façons de faire pour l’octroi de contrats gouvernementaux ou municipaux. Il est souvent proposé d’accorder les contrats à l’entreprise ayant soumissionné le plus près de la moyenne des soumissions sans toutefois dépasser cette moyenne.

SOUMISSION CONFORME

Les contrats actuels de construction sont accordés au plus bas soumissionnaire conforme. Pour débuter, il faut commencer par établir cette conformité. Par exemple, l’entreprise chinoise qui voulait soumissionner pour la construction des wagons du métro de Montréal n’était pas conforme, puisqu’elle ne proposait aucunement une soumission sur les besoins actuels du métro. Cette soumission aurait pu être valable dans un autre contexte à plus long terme. Donc, la conformité est établie sur les besoins de base du demandeur. Un autre exemple de non-conformité est un entrepreneur proposant la construction d’une route s’étalant sur quatre mois, alors que la soumission exige un délai de trois mois. Il y a d’autres critères pour la conformité dont celui du balancement de la soumission, i.e. chaque item au bordereau doit représenter la juste valeur du contrat à venir. Une soumission non-balancée devrait être rejetée, car l’entrepreneur pourrait se faire payer d’avance pour des travaux non-exécutés et … faire faillite et se sauver avec l’argent payé en trop.
PRÉPARATON DE LA SOUMISSION

Il est mon expérience que chaque soumission préparée par un entrepreneur est relative à l’expérience et la qualité de ses propres estimateurs. Pas une entreprise ne voit un projet du même œil et chacune va proposer un prix en conséquence. De plus, chaque entreprise a une réalité propre comme un fonds de roulement, des équipements, une liste de contrats en chantier, une liste de contrats à venir, un champ de compétence propre, différentes licences d’entrepreneur, un objectif de profit, une banque de sous-traitants favoris, etc… Les entrepreneurs ajoutent un facteur de risque dépendant de la complexité des travaux, du client, de la firme de génie conseil et de la possibilité de faire des extras. Finalement, le prix final est soupesé en tenant compte des entreprises compétitrices désirant elles aussi obtenir ce contrat.

EXTRAS POSSIBLES :

Tous les contrats publics sont accordés avec une marge de manœuvre budgétaire appelée « les contingences ». Ceci est nécessaire pour pallier à tous les imprévus ou extras qui surviennent dans le déroulement normal du contrat. Ainsi le contrat peut être exécuté rondement sans constamment demander de nouveaux crédits. Dans le domaine public, que ce soit fédéral, provincial ou municipal, les délais requis pour obtenir les autorisations nécessaires pour ces nouveaux crédits seraient catastrophiques pour l’exécution du contrat dans les délais soumissionnés. Il est normal pour les ingénieurs de prévoir des contingences de 5 % pour des travaux d’infrastructure neuve et de 8 % au moins pour des travaux de rénovation comportant des travaux de démolition et d’harmonisation dans des infrastructures vieillissantes.

Ajoutons que tous les entrepreneurs, tout au long de l’exécution du contrat, vont chercher à trouver toutes les failles dans le cahier des charges ou les plans susceptibles de générer des extras. Et on ne peut leur imputer de malveillance pour ceci. C’est tout à fait normal et ce sera ainsi quelle que soit la formule d’octroi du contrat. Comme on dit toujours : s’il y a une piastre à faire, ils vont tenter d’aller la chercher.

OCTROI DU CONTRAT

1. SELON LA MOYENNE DES SOUMISSIONS :

Calculé en pourcentage, voici un exemple d’octroi de contrat par la moyenne.

La plus basse soumission est quoté à 100%
La plus haute soumission est quoté à 150% (il est normal d’avoir une fourchette de prix de 50%)
La moyenne estimée serait d’environ 125% (i.e. 150-100 divisé par 2)
Le contrat serait accordé à l’entreprise qui aurait soumissionné tout juste sous le 125%, soit environ 120%

Donc, cela vient de nous couter 20 % de plus que la méthode du plus bas soumissionnaire à 100 %.

De plus, le danger que l’entrepreneur gagnant (disons 120 %) sous-traite au plus bas soumissionnaire (100 %) en tout ou en partie est élevé. Ainsi, à long terme, avec l’expérience, tous les entrepreneurs gagnants vont chercher à sous-traiter leur contrat et empocher jusqu’à 20 % de profit (120 % - 100 %) sans lever le petit doigt. Un autre danger consiste à ce que le soumissionnaire devant avoir le contrat demande à quelques amis de soumissionner autour du 125% pour influence la moyenne. Comme le contrat serait accordé autour du 120%, notre soumissionnaire ci-dessus obtiendrait le contrat. Encore une fois, nous y perdrions au change.

Finalement, le contrat est relatif à l’ensemble des prix des soumissionnaires. On peut mettre une clause de non-sous-traitance pour certains types de contrat, mais pour les contrats de construction nécessitant un certain nombre de sous-traitants, cela me semble impensable d’utiliser ce type de clause. De plus, devant une opportunité possible de profit vite fait, les entrepreneurs vont certainement trouver la faille pour l’exploiter à leur bénéfice.

2. PLUS BAS SOUMISSIONNAIRE

Selon cette méthode, il suffit de gagner une soumission par un sou et le contrat est à vous. Tous les entrepreneurs cherchent toujours à gagner une soumission par ce sou, mais bien sûr, peu y arrive. Cependant, les entrepreneurs détestent laisser beaucoup d’argent sur la table, i.e. gagner par une marge importante avec le deuxième plus bas soumissionnaire.

Mais ce sou peut faire gagner beaucoup d’argent aux organismes publics, car les soumissionnaires vraiment désireux d’obtenir le contrat ne prendront pas le risque de perdre un contrat par un sou. Ils vont raffiner leur prix et fixer un prix pour gagner. Tous les entrepreneurs vraiment intéressés vont faire le même raisonnement et vont baisser leur soumission au niveau bas acceptable pour eux. C’est ainsi que les prix baissent. Il est mon expérience que ce sou deviendra plusieurs millions d’économie dans certains contrats.

Nous retrouvons deux problèmes dans cette façon de déterminer l’entrepreneur gagnant. Les entrepreneurs vont chercher à soumissionner avec le produit ou service leur coûtant le moins cher et qui vont rencontrer les objectifs de la demande de prix. C’est ici que les services techniques offerts par les professionnels tels que les ingénieurs entrent en jeu. Ceux-ci doivent connaître parfaitement les besoins de leurs clients et les transposer dans les cahiers des charges le plus clairement possible. Le deuxième problème survient avec l’entrepreneur gagnant. Il sera toujours tenté de négocier une nouvelle entente de façon à faire gonfler son prix pour se coller tout juste sous le prix du 2e soumissionnaire. La règle d’or à ce sujet est de ne jamais négocier avec le plus bas soumissionnaire avant d’accorder le contrat en bonne et due forme. Et si l’entrepreneur refuse d’honorer son prix, il faut saisir la caution de soumission. (Une assurance garantissant partiellement que l’entrepreneur respectera son prix sous peine de saisie) et donner le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire. Même si le contrat a été accordé au deuxième plus bas soumissionnaire, l’organisme public a été compensé via la caution saisie.


GLOBALEMENT,

Accorder les contrats au plus bas soumissionnaire reste la meilleure façon de faire. Il y a moins de chance de magouille et une énorme pression à la baisse des prix. Il ne faut pas oublier que le risque de non-paiement pour les entrepreneurs est presque nul et que cela aussi est une raison supplémentaire pour faire baisser les prix.

Mais, que ce soit par la plus basse soumission ou par la moyenne, nous pouvons être assurés que plusieurs entrepreneurs vont toujours se plaindre que les prix ne sont pas assez hauts. Parallèlement à cela, rares sont les contrats qui ne se sont pas réalisés lorsqu’ils sont accordés au plus bas soumissionnaire. Au pire, les contrats publics sont garantis par la caution d’exécution (assurance garantissant l’exécution partielle ou totale des travaux), J’ai souvent vu des entrepreneurs se plaindre des bas prix et soumissionner encore plus bas la fois suivante en présence de compétiteurs. Aucun entrepreneur ne doit se plaindre du prix qu’il a lui-même soumis. Personne ne lui a demandé de donner sa chemise. Nous ne désirons qu’un juste prix.

AUTRES CONSIDÉRATIONS

1. Il ne faut jamais accorder un contrat avec un seul soumissionnaire conforme. Au Québec, jamais. Même pour les wagons du métro de Montréal, nous aurions pu facilement avoir au moins 3 soumissions conformes.
2. Toujours vérifier, si la soumission respecte le budget prévu.
3. Toujours vérifier si les soumissionnaires sont parents (actionnariat commun) afin d’éviter la collusion
4. Les soumissions publiques devraient avoir normalement des soumissionnaires différents
5. Tous les intervenants publics devraient maintenir des listes de couts de travaux comparables disponibles à tous les autres intervenants. Ainsi on va pouvoir comparer les prix par type de travaux, par ville, par région, par province et même par pays. Il n’y a aucune raison pour que les travaux de voirie coutent plus cher en Abitibi qu’au Saguenay ou à North Bay en Ontario. Ces listes deviendront un outil de comparaison extraordinaire avant d’octroyer un contrat
6. Tous les formulaires de soumission doivent être harmonisés pour leur contenu afin de pouvoir permettre d’établir des statistiques comparables.

Bonne lecture à tous. J’espère que cela a éclairé votre compréhension sur ce sujet.

Jean A. Beauregard, ing.

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