Commentaires sur l'estimation des couts de construction

QUI SUIS-JE?

Ingénieur de profession, j’ai exercé pendant près de quarante ans. J’ai vendu aux gouvernements et municipalités par appel d’offres publics. Aussi, j’ai préparé avec d’autres ingénieurs de nombreux appels d’offres pour la construction du métro de Montréal. Par la suite, j’ai exploité une colossale usine municipale qui a été bâtie par l’octroi de contrats au plus bas soumissionnaire. Et, pour cette usine, j’ai préparé de très nombreux contrats pour l’entretien et l’exploitation et pour lesquels j’ai écrit le cahier des charges (principalement le devis technique). Finalement, j’ai fait un passage de quelques années dans deux ministères québécois impliqués dans les infrastructures municipales. De plus, personnellement, je suis intervenu dans de très nombreuses instances afin de faire connaître mes opinions sur différents sujets touchant notre société. Et l’écriture de cet article est une suite logique à mon implication sociale.

LES RAISONS DE MON INTERVENTION :

J’ai choisi de vous faire partager mon expérience sur le sujet mentionné ci-dessus afin de permettre à tous les québécois de mieux comprendre le processus qui supporte l’octroi des contrats gouvernementaux et municipaux. Et s’il y a lieu, ils pourront s’appuyer sur mes recommandations pour toute démarche qu’ils croiront appropriées pour faire réviser un projet.

COMMENT DOIT-ON PRÉPARER UN ESTIMÉ POUR LES CONTRATS D’INFRASTRUCTURES?
Étude de faisabilité :
Partant d’une demande d’une instance (gouvernement, ville, etc…), tous les contrats d’infrastructures doivent d’abord être justifiés par un projet préliminaire ou une étude de faisabilité. Il s’agit ici d’établir, disons grossièrement, si un projet a des chances de se réaliser et d’établir un budget maximum pour sa construction. Généralement, on utilise des données globales unitaires comportant nécessairement une marge d’erreur assez importante qui ne tiennent pas compte d’une analyse détaillée ou des récents développements. Ainsi, si on veut construire une route secondaire d’un kilomètre, on pourrait estimer ce projet à environ 1 000 $ le mètre (fictif) sans tenir compte des problèmes qui pourraient subvenir suite à un relevé de terrain. Mais cette façon d’estimer a une marge d’erreur, disons de + ou – 20%. Donc, ce projet pourrait couter de 800 000 $ à 1 200 000 $. Il faut donc considérer pour fins d’analyse que ce projet devrait coûter au moins 1 200 000 $, car il faut toujours prévoir le prix le plus élevé. Tous ceux qui présentent le coût de ce projet à un autre prix que ce maximum commettent une faute et méritent d’être sanctionné.
Par la suite, ce projet est soumis aux autorités compétentes, par exemple une municipalité. Celles-ci doivent alors décider si elles acceptent de poursuivre le projet et ce, toujours au coût le plus élevé anticipé. Dans le cas mentionné ci-dessus, la municipalité doit voter si elle poursuit la construction de ladite route à un coût de 1 200 000 $, auquel il faut ajouter le maximum des frais de services professionnels (ingénieurs, notaires, avocats, architectes, etc.) et les frais du règlement d’emprunt (frais financiers) pour le monde municipal. Ici aussi, la municipalité doit présenter ce projet au coût maximal prévu. Si elle ne le fait pas, une faute est commise et des mesures doivent être entreprises à l’encontre des gens qui ont présenté ce projet au prix erroné.
Estimation finale du projet
Approuvé, voilà que le projet final démarre. Les responsables du projet, disons les ingénieurs, font les relevés de terrain détaillés, complètent la conception finale et préparent les plans et cahier des charges accompagnant les plans (les textes). Parallèlement à ce travail, le bordereau de soumission (future soumission détaillée) est élaboré et des données financières y sont insérées afin de fournir un estimé assez juste de la future soumission. De plus, une liste de fournisseurs potentiels doit être établie afin de s’assurer de la compétitivité de l’appel d’offres. Pour ce dernier point, une recherche dans le Registre de la Régie du bâtiment ou dans le Registre des entreprises du Québec est très facile à faire. Cette démarche est très importante, car il assure le client (par ex. la municipalité) que le professionnel a bel et bien écrit son cahier des charges en s’adressant à de multiples fournisseurs potentiels. Un des pièges pour la municipalité est de laisser le professionnel déterminer les équivalences (produits similaires) après que les soumissions soient fermées comme c’est souvent le cas présentement. Il faut exiger des professionnels que les différentes équivalences soient indiquées dans le cahier des charges, sinon il n’y a pas de véritable compétition. Un professionnel compétent connaît bien son marché et les différents produits qui y sont offerts. Il n’a donc aucune excuse pour ne pas indiquer de multiples fournisseurs. Il est mon expérience que lorsqu’il est utilisé l’expression PRODUIT CHOSE ou équivalent, le fournisseur nommé en profite et il peut jusqu’à doubler son prix lorsqu’il est le seul nommé au cahier des charges. Lors de la construction du métro de Montréal ainsi que le projet d’épuration des eaux, la Communauté urbaine de Montréal exigeait de nous les ingénieurs de s’en tenir à la description technique seulement sans jamais nommer un seul fournisseur.
 
Au final, notre municipalité ci-dessus devrait obtenir de ses ingénieurs les produits finis suivants :
- Un estimé final calculé à la marge d’erreur finale supérieure du projet (normalement pas plus de 10% et moins que la marge d’erreur de l’estimé préliminaire)
- Un estimé de la provision pour les contingences (extras)
- Des plans
- Un cahier des charges avec de nombreux fournisseurs nommés ou une description technique suffisante
- Un bordereau de soumission rempli (entre autres afin de vérifier que les soumissions futures sont balancées, i.e. que chaque item est soumissionné à son juste prix)
- Une liste de soumissionnaires potentiels suffisante pour assurer une saine compétition
 
Si on reprend notre exemple de ci-dessus, l’estimé final pour soumission est calculé à 900 000 $ avec une marge d’erreur de 10%. Il devra être présenté à la municipalité à 990 000 $, soit 900 000 $ plus 10%. À cela, il faut ajouter une provision pour les extras (environ 5% pour des travaux neufs, au moins 8% pour des rénovations). L’estimé final pour la construction se calcule facilement de la façon suivante :
 
Partant de l’estimé final à 900 000 $ ci-haut,
Multiplié par la marge d’erreur supérieure de l’estimation, disons 10%
Multiplié par le pourcentage de contingences, disons 5%
Soit 900 000 X 1.10 X 1.05 ou 1 039 500 $.
Il est à noter que l’estimé final incluant les contingences est inférieur à l’estimé de l’étude de faisabilité. La plus basse soumission ne devrait pas dépasser 990 000 $ et le contrat accordé à pas plus de 1 039 500 $.
Si ce n’est pas le cas, alors il faut retarder l’octroi du contrat, revoir le projet et/ou entamer des recours contre les professionnels, si nécessaire.
 
EN RÉSUMÉ, un contrat de construction d’infrastructure se déroule comme suit :
1. Après une étude de faisabilité produite par des professionnels, un estimé est produit, analysé et approuvé par les autorités au coût maximum anticipé.
2. Les professionnels finalisent le projet et préparent les plans, le cahier des charges (texte accompagnant les plans), le bordereau de soumission, l’estimé définitif, le montant de contingences et la liste des soumissionnaires potentiels.
3. Après que l’appel d’offres ait eu lieu, les professionnels analysent les soumissions et recommandent d’octroyer, s’il y a lieu, le contrat au plus bas soumissionnaire conforme en administration, en technique et en exécution. Je sers une mise en garde lorsqu’il n’y a qu’une seule soumission conforme. Nous ne devrions pas accepter le résultat d’une soumission du genre. Il faut revoir le tout, tout simplement, car il y a peut-être une économie d’argent à obtenir si on révise le projet pour obtenir d’autres prix compétitifs.
4. Aucun contrat ne devrait être accordé s’il dépasse les estimés.
5. Il faut toujours demander le nombre de soumissions reçues et celles rejetées afin de vérifier s’il y a bien eu une saine compétition
6. Si le projet retarde, on peut l’indexer au coût de la vie selon l’indice de construction de Statistiques Canada.
Finalement, la réponse à ma question du début est : non, encore non, et toujours non. Il n’est pas normal que le coût d’un projet dépasse ses estimés. D’ailleurs, le risque d’explosion des couts doit faire partie de l’analyse de chaque dossier. Le meilleur exemple que je puisse citer celui du CHUM. Il était certain que les estimations de ce projet en plein cœur de Montréal par-dessus l’autoroute Ville-Marie avaient d’énormes chances d’exploser et étaient à toutes fins pratiques improbables. Il est malheureux qu’en matière de finance publique que le bon jugement fasse peu partie du processus décisionnel. Lorsque nos décideurs se trompent, ils empilent leurs erreurs dans ce qu’on appelle la dette publique voilà tout. Cela va arrêter seulement lorsque nous ne pourrons plus emprunter. J’espère que n’attendrons pas cette circonstance pour nous corriger. Rappelons-nous les évènements en Grèce, en Grande-Bretagne, en Espagne ou au Portugal et les décotes des gouvernements de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.
 
J’espère avoir réussi à vous faire comprendre le processus d’évaluation des coûts et des soumissions. Ainsi, tous les québécois vont pouvoir revoir eux-mêmes tous les projets qui leur sont présentés, poser des questions, avoir une référence pour s’assurer que les réponses reçues collent bien à la réalité et leur permettront de prendre action, si nécessaire. Garder sous la main une copie du présent article pour vous y référer si nécessaire. Mon espoir est qu’à huit millions de paires d’yeux, on va bien finir par voir la différence entre ce qui va et ce qui ne va pas.

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